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Autour du Rocher : une histoire sans fin ?

Dernière mise à jour : 8 avr. 2023

Il n’est pas question ici de rappeler toute l’histoire de ce lieu autrefois apprécié de tous, détruit par un incendie en 1991 et resté depuis à l’état de ruines.





Le site, redevenu sauvage, avait jusqu’ici échappé à l’appétit féroce des millionnaires et du tourisme bêtifiant. Ça ne pouvait pas durer !

Nous voici donc en 2014, après plus de deux décennies de quiétude. Finies les rêveries et les utopies... place au béton.


Premier essai atomique en mer des Antilles


Un premier projet voit le jour en 2014, initié par la French West Indies Atomic Waste and Leisure Incorporated (excusez du peu !). Cette société au nom si avenant, domiciliée dans le Nevada, est la propriété de David et Regina Letterman, David Letterman étant un personnage bien connu du show-biz américain.

Le projet est accepté à la majorité par le Conseil exécutif, une voix contre (Benoît Chauvin). La délibération ne mentionne qu’une « réhabilitation et une extension mesurée des bâtiments existants sur Le Tour du Rocher », sans aucune précision chiffrée sur la nature et l’ampleur envisagées.

Ensuite, le couple a, semble t-il, porté son attention sur d’autres investissements et s’est débarrassé du site et de sa ruine sans entamer de travaux... et sans laisser de déchets atomiques !


RSB : la relève


2015 – c’est au tour de Paco Chanseau, société RSB, de reprendre le flambeau. Il a acquis la parcelle AP137 dans sa totalité (un peu plus de 3,5 hectares). Il faut rappeler qu'à cette date, le site est en zone verte dans sa quasi-intégralité, à l'exception d'une bande de terrain le long de la ravine.

RSB obtient dans un premier temps le transfert du permis de construire obtenu par les époux Letterman. On y voit cette fois-ci que le projet transféré est de 1 404 m² de SHOB et de 715 m² de SHON. L’ambition semble avec le recul assez modeste, et on peut considérer qu’il s’agit peu ou prou d’une « reconstruction » de l’existant et de quelques (à voir…) extensions.

Mais c’était sans compter sur l’appétit grandissant de M. Chanseau et de ses financiers qui ne vont pas se contenter d’une aussi petite réalisation.


En effet, une nouvelle demande de permis est déposée en avril 2015, sans que soit annulé le permis en cours de validité qui a été transféré quelques mois plus tôt. La Collectivité va donc devoir instruire un permis sans que soit abrogé le premier, toujours valable. Une démarche originale dont la validité administrative laisse perplexe…


Le nouveau projet prévoit alors un ensemble hôtelier de 24 bungalows, chacun avec sa piscine, en plus des club-houses, restaurant, spa, piscines communes, et autres aménagements touristiques et… d’un parking souterrain.

Malgré le classement de la parcelle en zone verte, le pétitionnaire avait alors obtenu un certificat d’urbanisme pour un projet de 4 500 m² de SHOB ! (CU adopté à la majorité du Conseil exécutif en 2015, une voix contre - Benoît Chauvin - et une abstention - Micheline Jacques -).

Levée de boucliers menée par St Barth Essentiel, pétition, mobilisation de la population… En parallèle, Maxime Desouches (alors élu de l’opposition) dépose un recours auprès du Tribunal administratif afin de faire annuler le certificat d’urbanisme. Il sera débouté uniquement pour un intérêt à agir jugé inopérant, le Tribunal s’exemptant ainsi de juger l’affaire sur le fond.

Malgré tout, B. Magras, alors Président, empêtré dans les multiples ressorts et rebondissements de la Carte d’urbanisme, prend la mesure du mécontentement et recule (une fois n’est pas coutume). Le projet est ajourné, objet d’un sursis à statuer voté à l’unanimité... mais le CU reste. RSB devra seulement attendre un peu.

Nous sommes en pleine période de révision/adoption/contestation judiciaire de la carte d’urbanisme. Qu’à cela ne tienne, c’est le moment de concocter une classification de la parcelle aux petits oignons pour le projet. Donne-moi tes plans et je vais te classifier tout ça comme il faut… un peu de N ici, un peu de Nla là, beaucoup de U un peu plus loin. Tu veux construire ici ? Pas de problème, on va mettre cette zone en U. Mais on va donner le change pour les bobos écolos, tu ne pourras pas construire là… De fait, la parcelle naturelle se voit amputée par de larges zones constructibles au détriment de toute logique environnementale, sabotant toute idée de couloirs écologiques et de protection des zones de nidification des espèces protégées, dont l’emblématique Phaéton à bec rouge.


RSB II : le retour


Roulement de tambour en 2017 : le nouveau projet est donc présenté au Conseil exécutif. Paco Chanseau a suivi à la lettre les instructions de zonage (ou est-ce la nouvelle carte d’urbanisme qui a suivi à la lettre le projet de Paco Chanseau ?).

Il s’agit désormais d’une « villa », d’une « habitation », d’une « résidence privée », bref : tout sauf un hôtel. Pourtant, les spa, restaurant, beach bar, piscines communes, logement du « staff » sont toujours à l’ordre du jour. On se croirait dans un hôtel, incroyable, non ? La Collectivité n’a rien trouvé à redire à ce changement radical et a trouvé qu’on pouvait tout aussi bien passer d’un projet hôtelier à une villa privée sans qu’aucune des particularités d’un hôtel ne soit retirée des plans. C’est donc un permis pour une super villa qui est accordé à l’unanimité par le Conseil exécutif le 20 février 2018. La « villa » sera de 3 247 m² de SHOB, 2 043 m² de SHON, 17 bâtiments, 12 piscines.

Pour info, la différence entre un hôtel et une maison d’habitation réside entre autres dans le fait qu’un hôtel requière obligatoirement une étude d’impact au-delà de 1 500 m² de surface, ce qui implique certaines contraintes coûteuses et emmerdantes…


C’est à ce moment que les voisins immédiats mesurent l’ampleur du désastre annoncé, et prennent le relai pour tenter de contrer ce petit « Sam’suffit » si modeste.

Un recours gracieux est déposé auprès du Président Magras. Aucune réponse de sa part, ce qui s’appelle en termes juridiques un rejet implicite du recours.

Pas d’autre solution, donc, que d’aller devant le Tribunal administratif, dont acte. L’affaire est défendue durant un an et demi par les différentes parties. La Collectivité défend bec et ongles le projet aux côtés de Paco Chanseau.


Finalement, le permis est annulé le 14 décembre 2018 !

Un motif d’annulation a été retenu par le Tribunal. La Collectivité, dans un souci de « verdissement », avait intégré à la carte une clause particulière à la parcelle AP137 : le bâtiment (sous-entendu « reconstruit ») ne devra pas être visible depuis la plage de Lorient.

Les juges ont estimé que tel n’était pas le cas…exit la petite maison dans la prairie.

Beaucoup d’autres arguments n’ont pas été retenus par le Tribunal, mais l’annulation était en soi une grande victoire.



RSB III : ça s'en va et ça revient…


Victoire de courte durée, c’était évident, puisque Paco Chanseau va présenter un nouveau projet, quasiment identique au précédent (même un peu plus grand encore, pour ne pas se sentir à l’étroit).

C’est en 2019 que la merveille est soumise aux bons soins de la Collectivité. 3 285 m² de SHOB, 2 054 m² de SHON, 24 bâtiments dont restaurant, beach bar, ajoupa bar, logement staff… projet accepté à l'unanimité (je ne veux voir qu'une tête !).

Il faut noter que, suite à la vente du terrain, cette soi-disant « habitation totalement privée » de 3 285 m² est censée n'être là que pour le bon plaisir d'une famille, visiblement peu concernée par les problèmes récurrents de logements à Saint-Barth.


Nouveau recours des voisins, sans passer cette fois par la case « recours gracieux ». Deux ans de procédure pour finalement perdre et s’entendre dire que le projet est OK en janvier 2022.

Le tribunal a survolé le dossier, botté en touche sur de nombreux points précis, fait des contresens sur des analyses d’expert mandaté par les requérants… il y a donc appel devant la Cour de Bordeaux.


Deux choses cependant sont positives dans ce jugement et appellent de nombreuses réponses de la part du Tribunal.

Mais l’heure est aux débats auprès de la Cour d’appel, je ne m’étendrai donc pas sur le sujet pour le moment.

 

Le cas « Autour du Rocher » est assez emblématique de la politique qui a été menée ces dernières années.

Un site magnifique de l’avis de tous, abandonné et ré-ensauvagé depuis plus de 20 ans, classé dans sa quasi-intégralité en zone verte, sanctuaire pour les paille-en-queue sur l'île, se retrouve d’un simple claquement de doigts affligé d’un droit à construire de plus de 4 000 m² de SHOB. La Collectivité avait, lors de la vente en 2015, la possibilité d’acquérir ce terrain (droit de préemption). Les finalités d’un tel achat ne manquaient pas : lieu de promenade, réserve naturelle gérée par l’ATE, un poumon vert entre les plages de Saint-Jean et de Lorient, avec un accès piéton pour tous à la plage de Lorient, le bas de la parcelle étant classé en zone constructible, assez loin des colonies de Phaétons.…

On est donc en droit de se demander ce qui a motivé cet empressement à déclasser un terrain inconstructible acheté en toute connaissance de cause. On peut également s'interroger sur les raisons qui ont poussé la Collectivité à accorder un droit à construire de plus de 4 000 m². Autant de questions en suspens auxquelles je vous laisse répondre.


Une fois de plus, les investisseurs, dont la plupart ne mettront jamais les pieds sur l’île, ont eu gain de cause. Mieux, ils ont été aidés, appuyés, conseillés pour mener à bien leur bétonnage inepte qui n’apportera à l’île que quelques clients de plus quand elle en perdra au moins autant à force de s'enlaidir chaque jour un peu plus.

On ne peut prédire l’avenir, et encore moins les motivations d’un juge administratif. Le projet n’est donc pas mort.

Et quand bien même il le serait, faudra t-il ensuite se battre contre un cinquième, un sixième projet… jusqu’à épuisement ?


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