Ferme verticale : beaucoup de salades et… de l'oseille ?
- saintbarth-boisgratte
- 20 mai 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 févr. 2024
Un article du Journal de Saint-Barth du 19 mai 2022 nous informe d'un projet de ferme verticale mené par Monsieur Paco Chanseau.
Sans entrer dans les aspects techniques certainement compliqués, le projet appelle quelques interrogations dans la forme comme sur le fond.

Qui est Paco Chanseau ?
L'agriculteur bio néo-rural soucieux de la qualité environnementale nous est présenté comme un « jeune entrepreneur ». Jeune, il l'est en effet, mais c'est déjà un vieux briscard du monde des affaires et du bétonnage sur l'île. Une simple recherche Google nous apprend très vite qu'il est, entre autres :
- Président de la société RSB, « location de terrains et de biens immobiliers » (St-Barth) - promoteur, entre autres, du projet Autour du Rocher
- Président de la société DADRET LB, « location de terrains et de biens immobiliers » (St-Barth)
- Président de la société SAS MAÎTRISE D'OUVRAGE, « activité des économistes de la construction » (St-Barth)
- Président de la société OCAP PREIM, « agences immobilières » (Bidart)
- Président de la société OCAP ST JEAN, « location de terrains et biens immobiliers » (St-Barth)
- Président de la société SCI MAISON REEV, « location de terrains et de biens immobiliers » (St-Barth)
- Président de la société SCI MAISON PETIT REEV, « location de terrains et de biens immobiliers » (St-Barth)
- Président de la société OCAP SBH, « agences immobilières » (St-Barth)
Auxquelles s'ajoutent les sociétés faisant sans doute référence au projet de ferme verticale, à savoir :
- Président de la société OCAP ZERO, « activité des sièges sociaux » (St-Barth)
- Président de la société OCAP DISTRIB, « commerce de gros » (St-Barth)
- Président de la société OCAP ZERO SAINT-BARTH, « reproduction de plantes » (St-Barth)
Un hyperactif en somme, à l'esprit d'entreprise particulièrement développé et aux centres d'intérêt surtout orientés vers le bâtiment ! Replacé dans son contexte, le jeune agriculteur 2.0 ressemble plus à un héritier Bouygues qu'au fils spirituel de Pierre Rabhi.
Une ferme verticale, pour quoi faire ?
L'article nous parle d'une production annuelle de 10 à 15 tonnes de « fruits, légumes et plantes aromatiques », le but à atteindre étant « l'autonomie de l'île ».
L'autonomie, c'est bien, mais cela sous-entend l'adhésion totale des consommateurs ainsi que des distributeurs de l'île qui préféreront sans aucun doute acheter plus cher une salade hors-sol produite à Saint-Barth au détriment d'une salade pleine terre importée de Guadeloupe ou de Martinique.
Par ailleurs, les plantations possibles dans ce type d'installation sont assez limitées : salades, tomates, concombres, etc. pour les légumes mais pas de pommes de terre, patates, manioc… Fraises et autres petits fruits mais aucun arbre fruitier, donc pas de mangues, bananes, corossols, etc. Les plantes aromatiques sont par contre toutes cultivables dans ces conditions étroites.
Finalement, 80 % des besoins en fruits et légumes continueront d'être produits dans les îles alentour et d'être acheminées par bateau ou avion, sans grande conséquence prévisible sur le nombre de navettes ni sur le bilan carbone de cette activité, pour finalement manger des salades qui n'auront jamais vu un gramme de terre.
Une agriculture frugale ?
Ces fermes présentées comme hyper-écologiques ne parviennent pas à obtenir le label « Bio », contrairement à ce qu'affirme Paco Chanseau. Ce sont en effet des gouffres énergétiques réclamant pour les éclairages et la climatisation une production d'électricité totalement démesurée. Imaginez la consommation nécessaire pour rafraîchir un bâtiment de 400 m² intégralement fermé sous le soleil de Saint-Barth. Ajoutez la consommation des lampes UV, des robots appelés à réaliser les manipulations, de l'informatique embarquée…
Une étude a démontré qu'il faudrait 20 m² de panneaux solaires pour cultiver un mètre carré de blé en ferme verticale. Ce ne sont certainement pas les 50 m² de panneaux solaires visibles sur la présentation fournie qui permettront de subvenir à tous ces besoins. Encore une fois, la pression future exercée sur le réseau EDF est minimisée pour les besoins de la cause et les tomates ont plus de chance d'être boostées au gasoil que de connaître le bonheur de la pleine terre.
Le besoin en eau est un autre sujet très vite survolé. Paco Chanseau avance une consommation de 400 m³ par an. Cette eau sera récupérée en citerne, donc sans aucun apport d'eau courante. La photo du projet montre pourtant une toiture intégralement végétalisée à l'exception des panneaux solaires. Peut-on expliquer la technologie miraculeuse consistant à récupérer l'eau d'une toiture végétalisée ?
La construction du bâtiment et sa maintenance doivent également être prises en compte pour évaluer le bilan carbone d'un tel projet, ainsi que la fabrication et l'importation de tout le matériel nécessaire, dont les composants viendront des quatre coins du monde.
Enfin, l'artificialisation de 500 m² de terrain sur l'île est à prendre en compte.
Tout cela semble bien démesuré pour une île de 24 km² et de 9 000 habitants.
À quel endroit ?
Où qu'il soit, le projet devra répondre aux règlements de la carte d'urbanisme. Or, les endroits où il est possible de construire une entreprise industrielle, d'une surface de 400 m² en un seul volume, couvert d'une toiture plate intégrale (même végétalisée) ne sont pas légion sur l'île, et encore moins à Saline. La mission agricole de Paco Chanseau s'affranchira-t-elle de ces règlements mesquins au nom de l'abondance et de l'autonomie ?
Un projet caché ?
Alors, Paco Chanseau se passionne-t-il pour l'agriculture de demain ? Se voit-il en bienfaiteur nourricier d'une île alimentairement autonome et au bilan carbone parfaitement neutre ? Ou bien ce projet hors-sol dans tous les sens du terme n'est-il que la face cachée d'une énième opération immobilière beaucoup plus juteuse que ses tomates hydroponisées ? Ses nombreuses opérations d'achat et de revente sur l'île font plutôt pencher pour cette hypothèse et la ferme ultramoderne risque de produire à terme beaucoup plus d'oseille que de salades.
Il me semble avoir lu dans le Journal de Saint-Barth que des producteurs tentaient un regroupement, ou du moins une organisation solidaire leur permettant de produire et vendre de façon pérenne. La piste est sans doute beaucoup plus intéressante : favoriser une production qui, si elle reste modeste, sera dans tous les cas plus qualitative et moins néfaste pour l'environnement.
On peut rêver de terrains de la Collectivité apprêtés et loués à différents producteurs à un petit prix. Pour l'eau, il existe des techniques qui ont fait leurs preuves dans certains pays, comme l'arrosage avec des oyas de terre cuite, très efficace et surtout très économe... Pourquoi pas des terrains horticoles à la ferme de Gouverneur, par exemple, maintenant que le site est de toute façon totalement chamboulé ? Une utopie ?
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